Cela fait bien longtemps que j’ai conscience que les Arts Martiaux ont été associés à des enseignements philosophiques voire spirituels dès leur origine. La preuve en est avec cette belle rencontre du groupe taoïste Wudang Gong dao. J’ai accueilli ce groupe qui travaille en associant la forme physique et l’analyse de textes anciens, l’une faisant écho aux autres et inversement.
Dans la journée, sous la direction de son Maître Yuan Limin, le groupe peaufine sa technique au dojo. Le soir autour de la cheminée, c’est le moment de la lecture et l’analyse d’un chapitre du Tao Te King (Lao Tseu, la référence des taoïstes). Le Maître donne son analyse des quelques dix lignes choisies pour accompagner la pratique du jour. Le seul commentaire (traduit à mesure que le Maître s’exprime dans sa langue d’origine) prend plus d’une heure et demie pour la dizaine de lignes que compte le chapitre.
J’ai eu la faveur de participer à deux conférences du soir lors des deux séjours du groupe. Les commentaires du chapitre dix du Tao Te King par exemple se sont avérés très parlants pour le pratiquant de karaté que je suis… « Faire Un… (corps et esprit) ». « Être aussi fluide et sans force qu’un nourrisson ». « Avoir un esprit aussi libre qu’un nourrisson … » (laisser le subconscient diriger nos mouvements). « Quand vous portez une attaque, toutes les parties du corps jusqu’aux ongles et cheveux doivent être dirigés vers la même cible… ».
Ce sont des notions que nous connaissons bien dans le karaté tel que nous le pratiquons, mais dans ce groupe, elles s’appuient sur l’interprétation des textes de Lao Tseu.
La difficulté, malgré tout, c’est de se rapprocher au mieux de la pensée originelle de Lao Tseu. En effet, le texte d’origine est bien entendu écrit en idéogrammes. Il n’y a pas de traduction unique d’un idéogramme dans le sens ou, comme son nom l’indique, chacun représente un concept, une idée… Le Maître (et la traductrice) passent beaucoup de temps sur chaque idéogramme pour en extraire l’essence, et en interpréter le sens.
Ainsi, lorsque l’on regarde deux versions françaises du Tao Te King, on trouve des « traductions » très différentes, et dont le sens commun ne saute pas aux yeux (d’où la nécessité d’en avoir une interprétation par un expert, un Maître…).
Exemple de deux traductions parallèles (#1 et #2) extraites du chapitre 10 du Tao Te King :
(#1 traduction Stephen Mitchell, Synchronique Editions
#2 traduction Stanislas Julien, présentation Jean Eracle, Editions Librio)
#1 Peux tu détourner ton esprit de ses errances et rester dans l’unicité originelle?
Peux tu laisser ton corps devenir souple comme celui d’un nouveau né?…
#2 L’âme spirituelle doit commander à l’âme sensitive. Si l’homme conserve l’unité, elles pourront rester indissociables. S’il dompte sa force vitale et la rend extrêmement souple, il pourra être comme un nouveau né.
Même si les deux versions sont très différentes, on perçoit bien les notions d’unité et de fluidité dans les deux textes.